Rapport du Comité 2000 : Résumé
|
RAPPORT À MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE :
ACCÈS DE TOUS À LA CONNAISSANCE PRÉSERVATION
DU CADRE DE VIE AMÉLIORATION DE LA SANTÉ TROIS ENJEUX.
RÉSUMÉ
Dans une lettre adressée le 21 janvier 1997 à Jacques-Louis Lions,
Président de l'Académie des sciences, Monsieur le Président de la
République a souhaité que des études de l'Académie des sciences, portant
notamment sur le traitement informatique du savoir, la connaissance
de la planète, et la compréhension du vivant, soient orientées vers
des directions susceptibles de contribuer au développement harmonieux
de notre société, par l'accès de tous à la connaissance, la préservation
de nos cadres de vie et l'amélioration de la santé de chacun.
Aucune des grandes questions soulevées ne peut admettre de solution
durable sans le secours de la Science. Tout dépend d'abord des résultats
de la recherche fondamentale, qu'il s'agisse de la neuro informatique,
de la compréhension de la planète terre, de la biologie moléculaire
- pour mentionner quelques uns des thèmes particulièrement liés aux
questions posées. Par conséquent, au nom même de l'efficacité recherchée
pour les applications, l'Académie des sciences insiste sur la nécessaire
autonomie de la Recherche fondamentale, poussée par le devoir de curiosité,
la soif de compréhension, les soucis d'esthétique et de symétrie.
Mais, comme toujours dans l'histoire, Science et Technologie progressent
ensemble. Les deux aspects ne sauraient être séparés. Des éléments
supplémentaires sont apparus dans les dernières décennies qui renforcent
encore cette situation. D'une part les possibles applications de découvertes
fondamentales sont développées plus rapidement que par le passé, d'abord
parce que l'informatique, les réseaux de communication, les résultats
des simulations, les procédés de fabrication rendent cette accélération
possible et ensuite sous la pression de la compétition internationale,
ce qui appelle à une vigilance accrue. D'autre part la complexité
des objets et outils industriels - des fusées aux automobiles, des
nouvelles molécules aux nouveaux matériaux, des grands réseaux de
communication matérielle ou immatérielle - serait inextricable sans
le secours de la Science, la complexité de ces objets posant d'ailleurs
de nouveaux problèmes à la Science, dans la simulation, la modélisation,
la recherche des lois fondamentales etc.
Le rapport comporte trois parties correspondant aux trois thèmes de
réflexion qui ont été souhaités.
1ERE PARTIE: L'UTILISATION DES NOUVELLES TECHNOLOGIES
POUR L'ACCÈS DE TOUS A LA CONNAISSANCE
L'accès de tous à la connaissance est historiquement l'une des préoccupations
majeures de notre pays. Le préambule de la constitution de 1946 s'exprime
en ces termes : " La Nation garantit l'égal accès de l'enfant
et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et
à la culture. " Du programme de Jules Ferry garantissant l'accès
de tous à l'instruction jusqu'aux efforts récents pour ouvrir les
portes de l'Université à une fraction plus importante de notre jeunesse,
cette volonté est l'un des moteurs essentiels de l'action de la collectivité
nationale.
Tout porte à croire que les décennies que nous sommes en train de
vivre sont celles d'une mutation technologique radicale dans le domaine
des moyens d'accès à la connaissance. Certains n'hésitent pas à comparer
cette mutation à l'invention même de l'imprimerie. Une rupture technologique
peut amener une rupture culturelle : c'est l'ensemble de notre rapport
à la connaissance qui peut être bouleversé quand nos moyens d'accès
et nos outils changent.
Le développement de l'Internet et l'intérêt croissant de nos concitoyens
pour ce nouvel outil sont un signe de cette mutation. L'Internet porte
en lui un retour de l'idéal encyclopédiste : mettre savoir et savoir-faire
à la disposition de tous. Certes, les micro-ordinateurs qui permettent
l'accès à l'Internet ne sont pas aujourd'hui à la disposition de tous.
S'ils n'ont pas encore atteint la diffusion des appareils électroménagers,
ils se vendent pourtant déjà dans les mêmes lieux et sur les mêmes
catalogues. D'autres dispositifs, les téléphones portables par exemple,
devraient bientôt les rejoindre comme outils d'accès à l'Internet.
Le premier problème est celui des conditions matérielles d'accès et
il y a ici une potentialité évidente d'inégalité. Pour autant, la
disponibilité des équipements et des accès aux réseaux ne garantit
pas ipso facto l'accès à la connaissance. Les informations
disponibles sur l'Internet sont dispersées et, par construction, elles
proviennent de sources très diverses n'offrant a priori aucune
garantie de véracité. De plus, l'accès à la connaissance suppose que
l'utilisateur des réseaux soit à même de s'approprier ces informations.
Une véritable éducation à l'utilisation des nouveaux outils technologiques
est nécessaire. Une compréhension approfondie du fonctionnement de
notre cerveau est l'une des perspectives scientifiques les plus enthousiasmantes
du siècle prochain et fait l'objet d'une annexe à ce rapport.
L'École et l'Université sont, par nature, les lieux privilégiés d'échange
de savoir. Il faut alors se poser la question de l'usage de ces nouveaux
outils dans le cadre scolaire et universitaire. Les nouvelles technologies
ne s'opposent ni ne se substituent à la relation entre maîtres et
élèves. Elles apportent à tous des ressources considérablement étendues,
et des moyens de communication qui favorisent le développement de
projets personnels créatifs. Dans une société où le besoin de formation
tout au long de la vie ne peut que s'amplifier, l'utilisation précoce
des moyens technologiques prépare à l'autonomie et l'effort personnel
dans l'accès à la connaissance.
Cependant, l'École et l'Université ne sont pas les seuls lieux d'échange
de savoir. Le citoyen de demain exige des informations plus nombreuses
et plus précises sur la vie de la cité, sur la santé et les questions
médicales, sur les problèmes d'environnement, sur ses possibilités
en tant que consommateur. Son horizon culturel est amené à s'élargir
vers d'autres cultures, et si notre langue est activement présente
sur les réseaux, la place du français dans le monde peut se renforcer.
Notre rapport à la mémoire se transforme également quand des archives
électroniques sont maintenues systématiquement auxquelles tous peuvent
avoir accès.
Enfin, le développement technologique que nous vivons donne un rôle
considérablement accru à l'économie des biens immatériels et les cadres
de pensée issus des révolutions industrielles du dix-huitième et dix-neuvième
siècle ne semblent plus toujours très adaptés à l'économie des réseaux
d'aujourd'hui. Ici encore de nouveaux paradigmes sont en train d'émerger.
Ainsi, au tournant du 21ème siècle, sans que beaucoup de scientifiques
ou de visionnaires n'y aient consacré tant de réflexions préalables,
apparaît un grand espoir d'accès universel à la connaissance. L'objectif
de ce rapport est de dégager la réalité de ces espérances, en s'appuyant
sur les compétences de scientifiques, de spécialistes de technologie
ou d'acteurs impliqués dans le développement d'entreprises technologiques.
Ces personnes, que nous avons rencontrées et à qui ce rapport doit
beaucoup, développent l'infrastructure de communication, les ordinateurs
et les logiciels dont le réseau est constitué, utilisent le réseau
de manière quotidienne depuis de très nombreuses années dans leur
vie professionnelle et réfléchissent à l'usage qui peut être fait
de ces nouvelles technologies dans l'enseignement, la formation, la
culture, la communication et la recherche.
2EME PARTIE : CONNAISSANCE DE LA
PLANÈTE ET CADRE DE VIE
Les hommes de notre temps ont pris conscience de la valeur de leur
environnement, mais aussi de sa fragilité. De surcroît, la montée
du refus des risques et des incertitudes, impose à notre société des
contraintes sans cesse plus difficiles à satisfaire. A la suite des
auditions qui ont été faites, il semble qu'il faille dépasser les
simples appréhensions devant le siècle qui s'ouvre, même si elles
sont compréhensibles, et en modifier l'éclairage. A la démarche de
"Préservation du cadre de vie", devrait se substituer
la notion plus dynamique et plus ouverte de "Transition vers
le développement durable" qui semble être le bon éclairage
pour l'action.
En accompagnement de cette évolution, deux concepts forts sont apparus,
certes séduisants, mais parfois ambigus, voire dangereux dans leur
application : le "développement durable" et le "principe
de précaution". La diffusion, souvent métaphorique de ces concepts
constitue un nouveau paradigme, commun à des pratiques et des projets
socio-politiques les plus divers. Mais ils s'imposent, et impliquent
une réorganisation des idées, des comportements et des normes.
Nombre de questions abordées peuvent être analysées selon un schéma
en trois volets :
la science et la technique,
le droit international en cours d'élaboration,
la mesure, la comptabilité et le contrôle.
La planète bien commun de l'humanité
Le problème global majeur concerne le réchauffement anthropique
du climat, qui ne peut plus être exclu même si son ampleur et
son rythme font encore l'objet de débats scientifiques. C'est un problème
important : il peut à lui seul aggraver ou alléger tous les autres.
Il doit conduire à un engagement à long terme de tous les pays, en
commençant par ceux qui sont déjà industrialisés, mais aussi de la
part des pays en voie de développement. La conférence de Kyoto (1997)
a décidé de mettre en place des objectifs d'émission différenciés
selon les pays mais sans référence à un critère explicite applicable
à tous. La Conférence de Buenos Aires (1998) n'a pas permis de concrétiser
la mise en place d'un ensemble de mécanismes économiques de flexibilité.
Le débat a abandonné le terrain scientifique (le risque de réchauffement
de la planète n'est plus guère mis en doute) au profit du politique
et de l'économique.
Cadre de vie et développement durable
Au delà de considérations sur le changement global, d'autres
questions importantes ont été examinées car elles conditionnent l'environnement
régional-local et participent de la problématique du cadre de vie.
Ce sont : les ressources en eau, du fait de l'importance de
l'eau tant pour la production d'aliments, pour la santé, que pour
la qualité de la vie par le maintien des écosystèmes, le siècle qui
vient va être marqué par les problèmes de l'eau qui pourraient être
la cause la plus importante de conflits.
La situation de pays comme le notre est une exception, mais l'amélioration
constante de la qualité des eaux est extrêmement coûteuse sans que
la nécessité sur la santé en soit toujours avérée ; l'évolution
des villes, toutes les analyses montre la complexité du
sujet et la difficulté que l'on rencontre à maîtriser des phénomènes
qui évoluent sur plusieurs plans. Il existe pourtant bien une question
essentielle, c'est la "durabilité" des villes : le développement
des villes, dont nous sommes témoins, est certainement destiné à durer,
et pourtant ce n'est pas un développement durable. Une "ville
durable" irait dans le sens de la compacité, qui permet des densités
favorables aux transports en communs et des déplacements raccourcis.
Les formes d'organisation qui seraient nécessaires à une inversion
de tendance sont à inventer et à faire avaliser par l'opinion publique
; les matériaux, ils sont situés non plus du côté des problèmes
mais du côté des solutions : le rôle des matériaux sera une des clés
du développement durable.
Un exercice difficile consiste à évaluer le bénéfice social que peut
apporter un matériau, en considérant l'ensemble du cycle, depuis sa
fabrication jusqu'à son élimination, en passant par son utilisation.
Ce type d'études-systèmes, analyse du cycle de vie, parfois appelé
"écobilan", est peu développé en France ; or une telle évaluation
est indispensable si l'on veut maîtriser d'une manière rationnelle
l'impact sur le confort, l'énergie, l'utilisation des matières premières
et l'environnement ; la biodiversité,
la biodiversité est devenue, au niveau mondial, un concept clé cristallisant
des enjeux politiques et idéologiques. On retrouve sur cette question
le triptyque science-droit-mesure et contrôle.
Depuis la conférence de Rio (1992) un droit international est en
cours de construction il convient d'avoir à l'esprit l'importance
de ce profond changement culture ; l'énergie, La transition vers le développement durable
fournit un cadre d'analyse, et permet de poser le problème de l'énergie
dans des termes nouveaux. En matière de choix énergétiques, la négociation
relative au changement climatique joue un rôle primordial. La France
est évidemment très concernée par le processus de négociation et par
ses conséquences. A cause du poids du secteur des transports, une
politique de forte maîtrise de la demande sera indispensable. Par
ailleurs, l'énergie nucléaire est si importante dans notre pays qu'il
faudra être particulièrement attentif aux aspects qui en font une
"énergie durable" ou qui, au contraire, l'empêcheraient
d'être classée comme telle.
Environnement et santé
Malgré son importance indubitable, les recherches sur l'impact de l'environnement en matière de santé publique
sont encore peu abondantes. C'est ainsi que l'épidémiologie, qui joue
un rôle essentiel à plus d'un titre, notamment dans l'établissement
des normes, souffre d'un sous-dimensionnement quantitatif de la discipline
et du nombre d'acteurs dans les dispositifs de santé publique.
Ce retard dans notre capacité à traiter des problèmes à la confluence
de la santé et de l'environnement est d'autant plus préoccupant que
les bases scientifiques sur lesquelles repose la définition de normes
(plomb, nitrates, effets des rayonnements...) méritent un examen approfondi.
C'est en termes de santé publique plutôt qu'en termes de santé individuelle
que les questions de pollution et santé
doivent être abordées. La demande sociale est grande et la médiatisation
importante ; il est donc capital d'être en mesure de donner des messages
clairs. Dans ce domaine, la discordance entre les attentes du public,
qui exige des certitudes rapides et sans ambiguïté, et les lenteurs
(nécessaires) de la recherche, est flagrante. La pression du public
et des médias a tendance à susciter l'établissement de normes et de
règlements de plus en plus contraignants pour limiter les risques,
le secteur industriel, notamment agro-alimentaire, ressent le besoin
de s'appuyer sur une recherche publique efficace : l'existence d'une
expertise pour établir les normes sur des bases scientifiques est
donc plus que jamais cruciale. Mais face à ces besoins on ne peut
que constater que le potentiel de recherche publique français s'avère
trop peu important avec des équipes dispersées et le plus souvent
de petite taille.
Economie du développement durable
Le succès du concept de développement durable est apparu lorsque il
a été perçu qu'il était indissociable de problèmes socio-économiques
et qu'il pouvait faire évoluer de façon positive à la fois une certaine
qualité de l'environnement et la compétitivité tant au niveau macro-économique
que micro-économique (entreprises, secteurs). Il ne faut pas perdre
de vue que le développement durable est un développement ; cette perspective
placée sous le triple signe de l'innovation (donc de la R&D),
du développement industriel et de l'économie mondialisée (donc de
la compétitivité) aura pour conséquence un retournement par rapport
à l'antagonisme traditionnel "économie et industrie contre environnement".
Ce retournement se manifestera sur plusieurs plans : l'industrie devra
reconnaître qu'elle peut se faire pousser hors du marché si elle refuse
de prendre en compte cette nouvelle dimension, l'opinion devra s'habituer
à l'idée que la recherche de solutions l'emporte sur la dénonciation
et que les meilleurs amis de l'environnement ne sont pas nécessairement
ses défenseurs autoproclamés, la R&D devra se restructurer pour
occuper des terrains nouveaux.
On constate que ce retournement conceptuel est
plus avancé en Europe du Nord et aux Etats-Unis qu'en France,
et cela explique sans doute les difficultés rencontrées par notre
pays dans les négociations internationales qui concernent ces domaines,
sur les normes tout particulièrement. Le droit international qui se
met en place progressivement dans le domaine de l'environnement, va
jouer un rôle croissant dans notre société. Le troisième volet (mesures,comptabilité
et contrôle) du schéma ternaire ci-dessus reste bien souvent largement
à construire ; il est préoccupant de constater que certains contrôles,
nécessaires pour donner un sens aux accords internationaux, sont loin
d'être encore techniquement accessibles.
Conclusions
Nous sommes aujourd'hui dans une perspective bien différente
de celle qui prévalait jusque dans les années 80 ; les prévisions
démographiques actuelles restent certes en croissance, mais celle
ci ne cesse d'être revue à la baisse. Il est donc possible pour la
première fois de se placer hors du champ des catastrophes inévitablement
liées aux croissances exponentielles et d'envisager l'avenir sous
l'aspect de la transition vers le développement durable.
Mais notre connaissance des mécanismes qui régissent l'évolution de
la planète est encore balbutiante. Nous avons donc des besoins de
recherche importants qui ont été soulignés tout au long du rapport
; ils concernent le climat, l'environnement,
l'eau, la biodiversité, les effets des polluants, les déchets, les
matériaux de substitution, les nouveaux modes d'élaboration des matériaux,
la production d'énergie, la relation environnement-santé, l'épidémiologie,
l'alimentation, le développement des villes, etc. Il faut dans
tous ces domaines savoir mesurer, compter, rassembler des données
et des observations, développer la modélisation numérique, organiser
les recherches à l'échelle française et les insérer dans des actions
européennes et des partenariats internationaux.
Au plan scientifique, les implications sur le tissu de la recherche
publique s'imposeront partout avec vigueur. Il faudra faire appel
à des outils conceptuels, technologiques et organisationnels nouveaux
notamment dans le domaines des bases de données scientifiques. La
France devra faire un effort si elle veut jouer un rôle dans cette
évolution.
Ce sont les problèmes globaux qui sont les plus redoutables car ils
mettent en jeu de vastes échelles de temps et d'espaces et sont donc
plus incertains. Ils demanderont aux nations, y compris les plus démunies,
d'être vertueuses en prenant en compte des objectifs à long terme,
et même à très long terme, alors que le court terme est déjà bien
difficile à assumer pour beaucoup d'entre elles. Cela demande aussi
que les nations s'entendent pour mettre en place des règles économiques
respectées par tous qui feront de cette vertu une nécessité.
Cela posé aucune nation ne peut se considérer comme isolée ; tous
les problèmes ont une composante internationale forte, dans leur énoncé
aussi bien que dans les règles ou les pratiques qui visent à les résoudre.
Ils se traduisent par des normes, des conventions, des traités...Un
ordre juridique mondial est en voie de constitution et il est important
pour notre pays de bien développer l'articulation entre les aspects
scientifiques des questions abordées et les négociations en cours.
De manière générale les questions d'environnement devront s'organiser
selon un triptyque dont chaque élément a son importance, et qu'il
faudra donc veiller à mettre en place systématiquement :
la science et la technologie, notamment
dans une perspective d'étude système ;
la définition des normes et des règles de droit ;
la mise en place des méthodes de mesure, de comptabilité et de contrôle
associées.
Notons enfin qu'en ces matières tout spécialement il faut faire appel
à plus de science et à moins d'émotion. Le débat est indispensable pour que les questions de sécurité restent au premier
plan, mais il ne doit être ni émotionnel, ni dominé par des
affrontements entre intérêts industriels ou nationaux, parfois dissimulés
sous le couvert de la défense de l'environnement.
Pour que la société puisse agir avec raison il convient de mettre
en garde nos concitoyens contre une diabolisation de la science, qui
conduit à l'occultation du débat rationnel au profit de discours exploitant
la peur. Les scientifiques sont au premier chef concernés : c'est
à eux d'abord qu'il appartient d'expliquer la pertinence de leur démarche,
la portée de leurs résultats, et de garantir la transparence et l'éthique
de leur action.
3EME PARTIE : COMPRÉHENSION DU VIVANT ET AMÉLIORATION
DE LA SANTÉ DE CHACUN
Les progrès de la Médecine ont été considérables au cours des cinquante
dernières années : des percées majeures et décisives ont permis la
quasi-disparition de nombreuses maladies et, même s'il est admis que
certains domaines avancent plus lentement que d'autres, ces progrès
ont suscité, de la part de l'opinion, des espoirs parfois précipités.
Le problème des avancées que l'on est encore en droit d'espérer est
vaste, si l'on considère toutes les dimensions scientifiques, sociales,
économiques et éthiques de la question.
Évolution de la pratique médicale
La pratique médicale évolue de plus en plus vite ; elle s'appuie
sur les immenses possibilités offertes par le développement technologique
.
L'informatique, les bases de données, combinées avec les télécommunications
et l'imagerie, vont accélérer le développement de la télémédecine,
encore peu répandue. La puissance de l'informatique contribue aussi
bien à l'amélioration des prothèses, avec la science des matériaux,
qu'aux progrès spectaculaires de la Biologie, notamment de la biologie
moléculaire.
La pratique médicale de ville, tout
comme la notion même d'hospitalisation, vont s'en trouver rapidement
remises en question.
La révolution des méthodes de diagnostic a commencé, grâce au développement
de l'imagerie, dans des disciplines telles que la neurologie, la cardiologie
et la gastro-entérologie, et elle devrait s'étendre rapidement à d'autres
domaines. Le diagnostic est également en pleine transformation grâce
à la découverte de nouveaux marqueurs biologiques et génétiques, tout
spécialement dans la contexte de la médecine prédictive et de la médecine
préclinique, affinant ainsi considérablement les techniques de prévention.
Progrès dans les traitements
Les traitements ont fait l'objet de progrès décisifs qui ont
transformé la thérapeutique.
La biotechnologie donne un accès, encore limité pour des raisons de
coûts, à la synthèse de protéines recombinantes qu'il était auparavant
impossible de produire par synthèse chimique organique, et elle permet
de produire à grande échelle des anticorps monoclonaux pourvus d'activités
biologiques prometteuses.
De nouveaux systèmes de criblage efficaces et de moins en moins coûteux
permettent d'étudier un très grand nombre de molécules dans un temps
limité.
La thérapie génique, même si elle demeure d'accès difficile et ne
répond pas à toutes les situations, constitue un objectif majeur de
la thérapeutique moderne, en particulier pour le traitement des cancers
et de certaines maladies génétiques.
La thérapie cellulaire est également promise à de grands développements
dès que seront résolus les problèmes de rejets qui entravent la réussite
de certaines greffes.
Enfin la vaccinologie a bien entendu bénéficié de toutes ces avancées.
Évolution du concept de maladie
Le concept même de maladie a évolué au cours des vingt dernières
années, au fur et à mesure que les progrès ont permis de mieux cerner
les causes, que l'on peut classer schématiquement en trois catégories
:
- les maladies génétiques pures, dites monogéniques lorsqu'elles
sont dues à l'anomalie d'un gène donné, ou polygéniques lorsqu'elles
sont sous le contrôle simultané de plusieurs gènes ;
- les maladies liées à un facteur environnemental (virus, agent
toxique, drogue
) ; leur approche logique est l'Epidémiologie,
discipline qui a permis des découvertes importantes, mais dont on
perçoit les limites liées à la grande complexité et à la superposition
des phénomènes et comportements en cause ;
- les maladies impliquant de façon conjointe les facteurs génétiques
et environnementaux, qui représentent la situation la plus fréquente.
Les diabètes et la plupart des cancers relèvent de cette catégorie.
La difficulté réside alors en ce que l'influence pathologique de
facteurs environnementaux parfois banals est commandée par des facteurs
génétiques de prédisposition qu'il faut savoir correctement identifier.
En termes de Santé publique, on voit donc tout l'intérêt qu'il
y a à combiner, dans l'arsenal des techniques médicales, celles
qui relèvent de l'épidémiologie classique avec celles qui sont issues
des avancées les plus récentes de la biologie et de la génétique.
Le groupe de travail a tenté de définir les domaines les plus
porteurs d'espoirs et d'inquiétudes, auxquels la communauté
scientifique, et l'ensemble de la Société, doivent accorder une
place privilégiée. Pour cela, il a distingué les thèmes à finalité
médicale directe, et la recherche fondamentale.
LES FINALITÉS MÉDICALES DIRECTES
Cinq thèmes à finalité médicale directe ont été retenus.
Santé et longévité : l'allongement régulier de l'espérance de
vie va susciter une meilleure connaissance des phénomènes de sénescence
pour que cette période de vie supplémentaire soit de meilleure
qualité. Ce phénomène n'interroge pas que la Médecine car, au
delà du problème de santé, c'est l'organisation sociale qui devra
être nécessairement transformée.
Une nouvelle approche de la prévention
: en dépassant l'indispensable étude des comportements à risques,
la Médecine doit retourner aux bases génétiques et physiopathologiques
des maladies. Elle dégagera ainsi de nouvelles règles de prévention,
en particulier des traitements sûrs et efficaces pouvant être
appliqués le plus tôt possible dans le processus déclenchant la
maladie.
Les maladies infectieuses émergentes ou réémergentes : ce risque,
dont on pouvait penser, il y a trente ans, qu'il était en diminution
régulière, reste bien réel. Il est temps d'adopter une politique
cohérente et intégrée visant à la prévision, la reconnaissance,
la surveillance, la compréhension, la prévention et le traitement
des maladies infectieuses et parasitaires.
Les maladies orphelines, dans les pays
développés et dans les pays en développement : dans les pays développés,
pour des raisons d'efficacité et d'optimisation des moyens, les
recherches se concentrent pour l'essentiel sur les maladies les
plus fréquentes, laissant " orphelines " les maladies
rares.
Quelle attitude adopter devant ces maladies, sans risquer de disperser
les efforts de recherche ? Dans les pays en développement, des
maladies pourtant extraordinairement répandues ne provoquent pas
une mobilisation suffisante au regard de l'ampleur même du phénomène.
Dans les deux cas, un réaménagement des priorités politiques devrait
permettre à la Science de jouer pleinement son rôle.
Les nouvelles formes de traitements : les perspectives ouvertes
par les nouvelles technologies du médicament et les nouveaux modes
thérapeutiques méritent d'être détaillées. Les problèmes économiques
liés aux restructurations de l'industrie pharmaceutique doivent
également être évoqués, de même que les questions de formation
qui en découlent.
LA RECHERCHE FONDAMENTALE
Il est clair que les réponses aux questions médicales posées
ci-dessus supposent un progrès préalable des connaissances fondamentales.
Pour ce qui concerne la recherche fondamentale, dont le
groupe de travail tient à réaffirmer l'importance majeure, trois
thèmes ont été retenus. Ils paraissent les plus porteurs d'espoirs
de développements futurs.
Les neurosciences (également évoquées
dans la première partie du rapport consacrée à la diffusion de
la connaissance) offrent des perspectives d'applications médicales
directes, enrichissent en même temps d'autres domaines de la Science,
et sont également susceptibles de stimuler aussi bien l'innovation
industrielle que les méthodes d'enseignement.
La biologie du développement ou embryologie
: est une discipline centrale des sciences de la vie, dont
les résultats irriguent également la biologie cellulaire, la physiologie
et l'ensemble de la médecine.
L'étude du Végétal, liée à la question
de la biodiversité (également abordée dans la deuxième partie
du rapport consacrée à l'environnement et au cadre de vie) reste
un maillon indispensable de la connaissance du vivant. Le règne
végétal constitue une immense banque de molécules qui laisse ouvertes
des perspectives importantes pour le traitement des maladies.
Dans chacun de ces huit domaines ont été pointées les forces et
les faiblesses de notre pays, les espoirs mis dans la recherche
sur le vivant mais aussi les verrous qui les paralysent.
Les mots-clés, rencontrés au fil
de ces contributions, seront : interdisciplinarité à tous les
échelons de l'enseignement comme de la recherche, valorisation
des jeunes scientifiques de haut niveau, collaboration inter-organismes
et collaboration recherche-industrie, simplification des procédures
statutaires et de gestion, utilisation pertinente de l'informatique,
modernisation et développement de l'épidémiologie, développement
de biotechnologies et de la recherche pharmaceutique
Les verrous identifiés sont le plus
souvent les antonymes des mots-clés. Certains verrous sont spécifiques
à telle ou telle discipline, mais la plupart concernent l'ensemble
du système de recherche et sont alors de deux types :
des verrous proprement scientifiques : certains sujets, parmi
les plus brûlants, mais d'un abord particulièrement difficile,
font l'objet de recherches limitées par rapport à d'autres sujets
moins finalisés sur lesquels se concentre l'essentiel de la recherche
en cours.
des verrous plus institutionnels ou économiques, qui empêchent
le développement optimal d'une véritable recherche concertée autour
des grands problèmes biologiques ou médicaux du moment.
Les raisons en sont d'une
part de la tendance bien connue au cloisonnement du système français, et d'autre
part la facilité qui consiste à promouvoir plus volontiers des
sujets poussés par une technologie nouvelle que des thèmes définis
par leur finalité.
On évoquera tour à tour : le manque de flexibilité dans le recrutement
des meilleurs jeunes chercheurs, et la diminution inquiétante
des fonds alloués au service effectif des laboratoires, la dispersion
et l'absence de taille critique de bon nombre d'équipes de recherche
fondamentale, un système d'évaluation critiquable de la qualité
de la recherche, la timidité de la politique d'incitation thématique
et la coordination insuffisante des organismes de recherche, la
faiblesse conjoncturelle de la recherche pharmaceutique, et la
quasi absence d'entreprises de biotechnologies
Dans chacune des contributions thématiques, des solutions adaptées
à la discipline considérée sont proposées pour supprimer les verrous
et définir des priorités.
Au delà de la question posée par M. le Président de la République,
le problème est bien de savoir si tout est fait pour répondre
à la demande de notre Société, même s'il faut pour cela rediscuter
quelle devrait être précisément cette demande et examiner, sans
préjugé ni crainte, les obstacles à la mise en uvre des
meilleurs moyens d'y répondre.
Il existe en France une recherche biologique de grande qualité,
et une médecine clinique excellente. Les moyens qui leur sont
accordés sont importants, il faut tout faire pour en tirer un
meilleur parti.
On entend volontiers dire aujourd'hui que la connaissance du Monde
vivant est l'une des toutes premières priorités scientifiques.
La contribution de notre pays à la compréhension du vivant et
à l'amélioration de la santé de chacun doit être à la mesure des
espérances, clairement exprimées, de nos concitoyens et des populations
des pays moins favorisés.
L'unité de la Science apparaît tout au long des divers chapitres.
Ainsi par exemple la neuro-informatique est
étudiée dans le thème 1 et dans le thème 3, l'épidémiologie doit être
abordée dans le cadre de l'environnement et de l'estimation des effets
de l'environnement sur la santé, mais elle est également largement
évoquée dans le cadre du thème 3 - sans compter qu'elle peut l'être
aussi dans le thème 1, à propos de la statistique, sujet fondamental
peut-être un peu négligé en France et qui donnera lieu à un rapport
séparé, pour le Gouvernement. La télémédecine, l'étude du génome
relèvent entièrement du thème 3 mais n'auraient pas de sens ou de
possibilité de rapide développement sans les outils technologiques
et scientifiques que les réseaux de communication et l'informatique
fournissent. L'étude de l'évolution climatique serait impossible sans
les modèles mathématiques élaborés et l'usage des super ordinateurs,
tout cela étant à son tour sans objet sans les progrès fondamentaux
en physique, en chimie, en biologie et bien sûr dans les sciences
de l'Univers.
La Science est par essence mondiale,
mais Science et Technologie, ensemble, sont soumises à
une compétition farouche où les intérêts industriels, économiques,
financiers ne sont pas absents.
L'Académie des sciences a, dans toutes ces matières, constaté une
bonne position de la Science française, souhaitant que les efforts
soient poursuivis et confortés, souhaitant souvent une meilleure organisation
et coordination, évitant la dispersion des efforts, notamment dans
les sciences de la Vie, et souhaitant aussi une participation plus
active de nos chercheurs à la préparation des conférences internationales
où des décisions pourraient ne pas suffisamment prendre en compte
l'état de nos connaissances scientifiques et l'existence, ou les perspectives,
d'outils permettant la vérification de la mise en oeuvre de ces décisions.
Ils y sont prêts, comme ils marquent une volonté de plus en plus affirmée
de contribuer à l'acceptabilité par le public, de la Science, composante
essentielle de la Culture
|