Enquête : la santé, parlons-en

 

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Enquête : la santé, parlons-en.
Un grand sondage réalisé par CSA et le Syndicat de la presse quotidienne régionale



«Il faut mettre des mots sur la souffrance»

 Professeur BADICHE

Les Français veulent de l'écoute. Mais les médecins sont-ils formés à cela ? Psychiatre, le Pr André Badiche enseigne précisément la psychologie médicale aux étudiants en médecine de Rennes. Interview.
(Ouest-France )

   Les Français veulent d'abord que leur médecin les écoute...

C'est normal. Les gens viennent voir un médecin parce qu'ils souffrent. Dans la souffrance, il y a une part objective mais aussi toute une part diffuse. Le rôle du médecin est d'aider le patient à mettre des mots sur cette souffrance. Par exemple, aujourd'hui on a inventé le mot stress. On le préfère au mot angoisse. Pourquoi les gens préfèrent ce mot-là ? Quelqu'un peut avoir mal au dos parce qu'il a une sciatique mais aussi parce qu'il en a plein le dos. On passe d'une maladie objectivable à une souffrance psychosomatique. Une souffrance psychique peut être plus pénible qu'une souffrance physique. C'est au médecin de la dépister. Cette recherche passe à travers les mots de celui qui souffre.

   Écouter, c'est commencer à soigner ?

L'expression symbolique d'une souffrance c'est déjà le début de sa thérapeutique. Pour que le sujet ne cherche pas tout de suite une guérison par la chimie, celle des drogues ou celle des médicaments, mais qu'il trouve d'autres moyens de prendre une distance par rapport à sa souffrance. C'est plus difficile de se dire : «Qu'est-ce qui se passe dans ma tête ou dans mon psychisme, est-ce que ça se passe dans mon cerveau ou dans mon esprit ?» Toute souffrance est à la fois bio, psycho et environnementale. A chaque fois, il faut voir les trois aspects, sans oublier le psycho. Le psycho c'est la capacité à dire «je» et pas «on». Dire de préférence «je suis angoissé» à «je suis stressé». Dans le premier cas on dit ce dont a peur, dans le second on accuse l'environnement de nous faire du mal.

  On apprend cela en faculté de médecine ?

La psychologie médicale est surtout enseignée en 2e année : 32 heures en cours magistral et des travaux dirigés en petits groupes : huit séances d'une heure et demie. En second cycle, on demande aux étudiants de raconter les émotions qu'ils ont pu avoir pendant leur stage à l'hôpital.

   Est-ce suffisant ?

Non. Mais on ne sait pas contrôler les connaissances sur la relation médecin-malade. Ça n'aurait pas de sens. Écouter ça veut dire qu'on n'est pas trop mis en question par les clients, pas trop engueulé, pas trop menacé des tribunaux, il faut un minimum de sécurité, que la salle d'attente ne soit pas trop pleine, que le téléphone ne sonne pas... Tout cela, on n'en est pas tellement maître.

   55 % des Français veulent qu'on leur dise la vérité.

Le diagnostic est une longue élaboration dont la conclusion n'est pas toujours assurée. Le médecin ne connaît pas toujours la cause de la maladie. Il ne sait pas tout.

   La demande du patient est cependant légitime ?

Oui, mais le médecin doit être suffisamment bien dans sa peau pour dire : «Je ne sais pas». Dans le cas d'un diagnostic grave, il faut dire la vérité que le malade peut entendre. Si on lui dit une maladie qu'il va entendre comme un arrêt de mort, on ne l'aura pas aidé. De plus en plus les médecins disent la vérité mais ils ne peuvent pas dire n'importe quoi. Quand on est malade, on n'est plus tout à fait raisonnable. Il y a des choses que l'on n'entend pas, que l'on ne veut pas entendre. Le médecin doit prendre le temps qu'il faut pour dire les choses sans que ce soit un coup d'assommoir.

Bernard RICHARD.
  

 

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